La Musique des équipages de la flotte de Brest en Pentaphonie
Sous l'impulsion de son fondateur, Cabasse a mené très tôt des expériences d'enregistrement et de reproduction sonore en multicanal. Il s'agit de la prolongation logique de l'implication de Cabasse dans la réalisation de la première installation sonore Cinemascope de France dans le cinéma Le Grand Rex, à Paris. Ainsi, Georges Cabasse a expérimenté l'enregistrement multicanal sur huit canaux dès 1959. Ces expérimentations n'ont pu trouver une opportunité de débouché dans le grand public qu'à partir de l'apparition d'équipements quadriphoniques au tournant des années 70 du XXe s. L'échec commercial de la quadriphonie a empêché tout développement significatif du multicanal dans la production musicale. Cabasse n'a pour autant pas cessé ses expérimentations d'enregistrement et de reproduction en multicanal comme le démontre sa collaboration avec Radio France pour les trente ans de la radio publique au début des années 90 du XXe s. À partir de cette dernière décennie, la maturation du marché de la vidéo grand public et l'apparition d'équipements audios de type homecinema (cinéma à domicile), capables de reproduire plusieurs canaux d'enregistrement, ont rendu à nouveau possible d'envisager la diffusion commerciale d'enregistrements multicanaux de musique.
Les premières expérimentations publiques de Cabasse en multicanal ont été réalisées en Live Music (comparaison entre musique directe et musique enregistrée) lors d'un Festival du Son, avec la collaboration d'un trio de musiciens (hautbois, piano et percussions). Lors des essais préalables aux séances publiques, la disposition ITU préconisée pour une installation homecinema s'est révélée incapable de reproduire fidèlement le trio en raison du placement des enceintes d'effet à l'arrière de la zone d'écoute. Sur l'intuition de M. Philippe Muller, chef de produits Cabasse et lui-même preneur de son, une disposition différente plaçant les enceintes externes latéralement plutôt qu'à l'arrière a été mise à l'épreuve. Face à plusieurs centaines de spectateurs dans le grand amphithéâtre Havane du Palais des Congrès de Paris, un écartement de 6,4 mètres entre les enceintes s'est avéré nécessaire. La réussite de l'expérience a été telle que Cabasse a formalisé un dispositif baptisé Pentaphonie, dans lequel l'écartement entre les enceintes est plus réduit, adapté à un salon domestique. L'expérimentation a imposé une préférence pour la disposition pentaphonique au grand dam de Cabasse, qui pensait pouvoir s'appuyer sur l'engouement pour le homecinema et la diffusion de la disposition ITU dans le grand pbulic afin de promouvoir la reproduction multicanale. Néanmoins, des expérimentations ont montré que les bandes-son enregistrées pour se conformer au dispositif ITU sont compatibles de manière très satisfaisante avec la disposition pentaphonique.
C'est dans ce contexte que Cabasse a procédé l'année suivante à une expérience mémorable de Live Music avec la collaboration d'une large formation musicale : la Musique des équipages de la flotte de Brest. Cette expérience a été immortalisée dans le rare document iconographique ci-dessous.
Cette photographie a été prise en cours d'une séance d'enregistrement de l'orchestre par MM François Bellec, chef du laboratoire Cabasse, et Philippe Muller. L'expérience a été menée en présence de Christophe Cabasse, l'un des fils de Georges Cabasse et le responsable de l'exportation au sein de l'entreprise.
L'enregistrement a été réalisé sur cinq canaux discrets à l'aide d'autant de microphones omnidirectionnels Schoeps de la série Colette. La disposition des cinq microphones et des cinq enceintes destinées à la reproduction de l'enregistrement mérite d'être soulignée. Les cinq microphones sont équidistants les uns des autres : un microphone en position centrale, deux microphones en position intermédiaire et deux microphones placées sur les ailes du dispositifs. Particulièrement importante est la disposition des cinq enceintes de reproduction, en l’occurrence cinq Cabasse Skiff, espacée de 3,2 mètres de l'une à la suivante, de manière homothétique au dispositif de prise de son. Contrairement à la disposition pentaphonique canonique, les deux Skiff placées aux extrémités du dispositif sont orientées vers les deux auditeurs visibles sur la photographie et non vers le fond de la salle, car celle-ci est suffisamment grande pour que le son reproduit soit diffus. Le matériel d'enregistrement placé sur une table est composé d'une console Tascam M-2616 et de deux enregistreurs numériques multipistes Tascam DA-88. Un sixième microphone placé sur un pied à côté de la table est relié à un analyseur en temps réel Ivie IE-30A manié par François Bellec pour contrôler les niveaux sonores au cours de l'expérience. L'une des leçons acquises au cours de cette session est que des enceintes Cabasse alimentées par une puissance d'amplification suffisante sont capables de reproduire fidèlement une grande formation d'harmonie dans la salle même de l'exécution. Pour l'occasion, chacune des cinq Skiff était alimentée par un double amplificateur AMC100 dont les deux canaux ont été pontés pour former un seul canal d'amplification capable de produire des crêtes supérieures à 1 000 W. Cette leçon a incité Cabasse a développé l'amplificateur AM1000.
L'enregistrement issu de cette expérience en Pentaphonie sera utilisé pour une présentation publique au cours du Festival du Son suivant à Paris au milieu des années 90 du XXe s.
Grand merci à M. Philippe Muller, ancien chef de produits Cabasse de 1982 à 1996, pour ses renseignements et le partage de la photographie de sa collection.
Pour aller plus loin
- La Pentaphonie selon Cabasse, un article publié dans la revue Les Années Laser