Interview de Georges Cabasse à Stereoplay en mars 1985

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L'interview de Georges Cabasse reproduite et traduite ci-dessous a été réalisée par Karl Breh, le rédacteur en chef de la revue ouest-allemande Stereoplay, et elle a été publiée dans le numéro de mars 1985 avec un reportage exclusif consacré à la réalisation du système-son de La Géode qui a fait la une du magazine.

Documents originaux

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Traduction

Introduction :

Dans une interview avec Breh, le rédacteur en chef de Stereoplay, l’entrepreneur Cabasse exhorte ses homologues européens à s’occuper des robots japonais.

L'interview :

Stereoplay : Peu de fabricants d'enceintes acoustiques utilisent l'argument que leurs produits sont prêts pour le numérique. Que voulez-vous dire par là ?

Georges Cabasse : Nous avons toujours comparé nos enceintes à la musique vivante. Même la musique enregistrée numériquement ne peut pas être meilleure que l'original. Cela veut dire que nous avons déjà une bonne marge de sécurité. Au millieu des années 50, nous avions déjà enregistré un grand orchestre placé sous la direction de Paul Kuentz. Le hasard a voulu que Paul Kuentz soit devenu le directeur de l'école nationale de musique de Brest, de sorte que nous pouvons maintenant enregistrer ses concerts à des fins de comparaison.

S : Quelle est la taille de l'entreprise Cabasse ?

GC : En 1950, ma femme et moi avons commencé tout seul. Jusqu'en 1955, notre production était réalisée de manière entièrement artisanale. Puis vint le CinemaScope, avec bande-son sur quatre pistes magnétiques, pour lequel nous avons développé des enceintes de haute fidélité construites selon des méthodes semi-industrielles. En 1974, notre effectif atteignait 250 employés. Mais un incendie a détruit notre usine de fabrication, ce qui nous a contraint à renoncer à l'exportation et à nous concentrer sur le marché français. Nous comptons actuellement 160 employés répartis sur nos implantations de Brest, Jeumont, Glageon et Paris.

S : Combien d'entre eux sont affectés à la recherche et au développement ?

GC : Dix personnes au total. A Brest, un ingénieur dirige la recherche fondamentale et deux autres la recherche et développement. Il y a aussi des techniciens.

S : Fabriquez-vous vous-mêmes les ébénisteries de vos enceintes ?

GC : Jusqu'à l'incendie, nous réalisions toutes les ébénisteries. Aujourd'hui, nous ne fabriquons plus que les séries spéciales et les préséries. Lorsque les quantités à produire sont importantes, nous recourrons à la sous-traitance.

S : Et qu'en est-il des haut-parleurs ?

GC : Nous les réalisons tous nous-mêmes. Pour certains types d'enceintes, nous recourrons encore à des membranes fabriquées par Kurt Müller, à Krefeld [à l'époque en Allemagne de l'Ouest, NdT], mais toutes les autres sont fabriquées par Cabasse.

S : Cabasse produit-il également des enceintes économiques ? Sous d'autres marques ?

GC : Non. Pas du tout. Notre modèle le moins cher coûte, sur le marché français, l'équivalent de 700 DM et notre modèle le plus coûteux, l'Albatros, plus de 25 000 DM pièce.

S : Dans quel segment de prix réalisez-vous principalement vos ventes ?

GC : Avec des enceintes qui coûtent environ 1 400 marks pièce.

S : Quels sont vos principaux marché d'exportation ?

GC : En volume de vente, il s'agit du marché allemand. En terme de chiffre d'affaire rapporté à la population, il s'agit de la Suisse. En ce qui concerne l'exportation vers d'autres pays, notamment les États-Unis d'Amérique, nous sommes sur le point de la mettre de nouveau sur pied.

S : Monsieur Cabasse [en français dans le texte, NdT], quelle est votre position, en tant qu'entrepreneur privé, sur le rachat d'entreprises allemandes d'électronique par le conglomérat public français Thomson-Brandt ?

GC : Au risque de passer pour un mauvais Français, je dois dire qu'à mon avis, une entreprise étatisée ne devrait pas avoir le droit d'acheter des firmes industrielles dans un autre pays. C'est en fin de compte le contribuable français qui paie la facture. À ce compte-là, le gouvernement allemand pourrait tout aussi bien acheter par exemple l'entreprise Renault. Je suis favorable au respect des règles de l'économie de marché et c'est précisément ce qui est cassé par les entreprises d’État subventionnées.

S : De quelle manière Cabasse fabrique-t-il ses différents modèles d'enceintes acoustiques ?

GC : En règle générale, nous fabriquons toujours nos différents modèles par série de 1 000 unités.

S : De même pour les Albatros ?

GC : Oh ! mon Dieu ! Nous les fabriquons par série de 100 dans des conditions de laboratoire. Mais c'est quand même un produit de folie, dans lequel tous les éléments jusqu'au dernier transistor sont triés. Malgré le coût que cela représente, nous le faisons pour chaque Albatros que nous vendons. C'est mon hobby, l'incarnation de ma passion pour la perfection, un produit de prestige qui, d'un point de vue commercial, est complètement dément.

S : Vous vous êtes vous-même décrit un jour comme un Européen convaincu. Avez-vous changé d'avis face au développement maintenant assez déprimant de l'idée d'Europe ?

GC : Pas le moins du monde. Aujourd'hui comme hier, je suis convaincu qu'il nous faut bâtir les États-Unis d'Europe, sinon l'Europe perdra son indépendance. Je reviens du Japon. Là-bas, j'ai visité une chaîne de production sans humain, dans laquelle des robots produisaient quoi, selon vous ? D'autres robots, naturellement ! Qu'un outil casse et un robot de transport se présente et remplace l'outil par un neuf en quelques secondes. Pour que les unités mobiles ne mettent pas en danger les personnes présentes, chaque robot émet sa propre musique d'identification. Non. Quand on compare ces méthodes de production avec celles qui ont encore cours en Europe, il est parfaitement clair que les États européens industrialisés doivent unir leurs forces pour que leur savoir-faire et leurs techniques de production ne soient pas complètement dépassés.

S : Employez-vous déjà des robots ?

GC : Eh bien, oui. Au stade du contrôle-qualité. Chaque enceinte Cabasse passe par une chambre anéchoïque dans laquelle un robot de mesure procède à l'analyse de l'enceinte afin d'en détecter les défauts, les analyser et identifier leurs causes. Pour éviter tout problème, le robot refuse simplement de stocker le numéro de série de l'enceinte défectueuse sur la disquette correspondante. Mais nous avons aussi des robots destinés à la fabrication de nos membranes en dôme en nid d'abeilles ; nous les avons conçus nous-mêmes et même les Soviétiques s'y sont très intéressés.

S : Les programmes informatiques de contrôle de ces robots n'ont-ils pas été volés l'année dernière suite à un cambriolage ?

GC : C'est exact. Et l'affaire a révélé une intrication d'événements allant de l'étrange au grotesque une fois que les services de contre-espionnage français ont pris l'affaire en main. Des traces des programmes ont fait surface à Taïwan, mais les autorités ont également cherché dans des endroits beaucoup moins éloignés, dans notre propre pays, car il s'est avéré que cette méthode de fabrication convient également très bien à la production de matériaux absorbant les ondes radars.

S : Il y a donc assez peu de suspects ?

GC : Non, toutefois l’entreprise suspectée aurait pu obtenir ce savoir-faire gratuitement par voie officielle. Pourquoi aurait-elle organisé un cambriolage spectaculaire ? De toute façon, les cambrioleurs n’ont pas pu se satisfaire de ces programmes, parce qu’ils sont basés sur un langage de programmation que nous avons nous-mêmes mis au point. En fait, je voudrais adapter les programmes au système IBM, plus flexible. Maintenant, je m'entends dire par mes collaborateurs : "Monsieur Cabasse [en français dans le texte, NdT], comment vous sentiriez-vous si nous avions modifié les programmes avant le cambriolage? Et ils ont bien raison !

Traduit de l'allemand par Scytales.


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