Pour mémoire, B. Neveu est un preneur de son qui dirige sa société de production de disque, BNL (et Syrius). Spécialiste de l'enregistrement "naturel" de musique classique, la qualité de ses prises de son en fait une référence dans ce domaine. La plupart des revues de Hifi se sont servies un jour ou l'autre de ses disques pour mettre à l'épreuve le matériel testé, et beaucoup des disques qui constituent son catalogue ont été récompensés pour leurs qualités technique et musicale.
Mais surtout, l'activité professionnelle de Bernard Neveu se confond avec celle d'un certain G. Cabasse dont il fut le compagnon de route dès le milieu des années 50. En effet, les enregistrements utilisés dans les salons par l'équipe Cabasse pour démontrer les qualités de leurs productions étaient signés B. Neveu. Il a eu également un rôle important dans la validation des modèles mis au point par le célèbre constructeur.
Je suis très heureux qu'un homme tel que lui, dont la carrière se confond avec celle de G. Cabasse, mais aussi avec l'histoire de la HiFi depuis ses origines, puisse contribuer, aux côté de Philippe Muller, à l'enrichissement de ce forum Cabasse!
[*]: un autocollant Cabasse offert aux 5 premiers qui trouvent de qui il s'agitL’enregistrement stéréophonique
Dans les années 1880, des ingénieurs, experts en photographie, avaient imaginé et mis au point un procédé de prises de vues stéréoscopiques et l’auteur de ces lignes est bien placé pour en parler car son grand-père paternel, Auguste Neveu, sorti major de l’École centrale, en avait emboîté le pas. Les solutions les plus simples et les plus logiques aboutissant toujours aux meilleures réalisations, les appareils photographiques stéréo étaient composés de deux objectifs parallèles, d’un écartement comparable à celui des yeux humains et la fixation des deux images se faisait sur une plaque de verre. Après transfert en positif, la plaque était vue par transparence sur des visionneuses, seule solution disponible à l’époque.
J’ai hérité d’un tel appareil sur lequel - à défaut de «smartphone » - j’ai passé de longs moments de mon enfance à explorer les centaines de plaques qui dormaient dans le fond des placards de la maison. Certaines d’entre elles avaient été prises pendant la construction de la Tour Eiffel et ces vues donnent le vertige tant le respect de la perspective, du relief et de la profondeur de champ est criant. Elles nous ont malheureusement été volées. Disons au passage, sans que j’en tire aucune vantardise mais peut-être un peu de fierté, que le-dit grand-père faisait partie de la quarantaine d’ingénieurs engagés par Eiffel (son nom est gravé sur une plaque dans la chambre du maître au dernier étage).
Aujourd’hui, la stéréoscopie est disponible par des moyens plus spectaculaires que permettent les progrès techniques et la prise de vues n’est plus basée sur la position des yeux mais sur celle d’un écran de vastes dimensions que l’on regarde au moyen de lunettes spéciales. C’est ce dernier point qui conduit l’auteur de ces lignes à la définition de la prise de son stéréophonique, destinée à être reproduite sur des enceintes acoustiques.
A l’apparition des premiers 33 tours stéréo, au début des années 50, j’avais acquis le matériel nécessaire à leur audition. Plusieurs marques proposaient d’excellents enregistrements, vraiment stéréo, dont l’écoute était saisissante de vérité : largeur, profondeur, plans sonores, etc... Citons parmi elles : Decca, Westminster, Mercury, Capitol, etc..., dont je possède toujours les disques, certains un peu râpés tant ils ont servi. La plupart de ces enregistrements étaient, renseignements pris, réalisés à l’aide de deux micros omnidirectionnels disposés selon un écartement conséquent, plusieurs mètres.
Dès que j’ai pu disposer d’un matériel permettant un tel enregistrement (début 1956), c’est tout naturellement que, m’appuyant en cela sur les conseils avisés d’un aîné célèbre en matière d’acoustique[*], j’ai acquis la certitude « mathématique » ou, « géométrique » si l’on veut, que pour reproduire l’image de la réalité sonore, il était nécessaire et – oh ! combien - suffisant de considérer les deux enceintes acoustiques comme deux points d’espace correspondant le plus exactement possible à la disposition des micros et vice-versa.
A partir de ce préambule et pour ne pas lasser le lecteur, je vais tâcher d’aller au plus court mais en insistant sur les « hérésies » qui se sont installées par la suite.
La plus monstrueuse d’entre elles et qui a contaminé l’enregistrement stéréo jusqu’à ce jour est l’apparition de la « stéréo compatible », une vraie vermine ! Elle a pris jour dans le cocon d’un certain nombre de producteurs de vinyles. Pourquoi ? Tout simplement parce que presque tous les mélomanes de l’époque n’étaient encore équipés que de cellules de lecture mono ou de cellules stéréo de première génération peu complaisantes en déplacement vertical. Précisons ici qu’une véritable gravure stéréo comporte des déplacements horizontaux et verticaux ; ceci avait pour effet de faire « sauter » les lecteurs inadaptés. Catastrophe ! commercialement parlant, à laquelle il fallait remédier mais surtout pas en cherchant à faire évoluer le client mélomane, d’où : finis les micros écartés et les omnidirectionnels - trop fidèles dans les graves - mais deux cardioïdes bien rapprochés pour éviter tout risque de « déphasage », qualité essentielle de la stéréo. On a même été jusqu’à inventer le « micro stéréo », 2 capsules superposées orientées à 90°, bravo ! Ça existe encore aujourd’hui...
Entendons-nous bien : n’est évoquée ici que la prise de son de musiques classique, traditionnelle, jazz, etc..., où le « rendu » se doit d’être le plus naturel possible et où sont respectés le son des instruments et l’ambiance environnante, charge au preneur de son de faire le choix judicieux du lieu de l’enregistrement en parfaite concordance avec le genre musical. L’enregistrement de la musique dite « de variété » ne répond pas aux mêmes critères et les ingénieurs du son qui la pratiquent méritent le respect ; il ne s’agit plus ici de restituer fidèlement l’ambiance sonore mais de la créer selon le désir des interprètes. Ce travail requiert un matériel spécifique et une expérience que nous n’avons pas. Il ne saurait en effet être question que notre orientation durement ciblée « classique » puisse nous faire taxer du moindre mépris envers nos confrères de la variété.
Pour revenir à ce qui nous préoccupe, il me paraît intéressant - j’oserais dire fondamental - de citer un petit événement qui remonte à bien des années, époque à laquelle votre serviteur enregistrait pour son propre plaisir de nombreux concerts. Alors que j’étais en train de procéder à la mise en place de mes deux micros, un « gamin » d’une douzaine d’années qui semblait captivé par ces préparatifs me pose une question inattendue:
« Pour votre stéréo, comment aller vous placer vos deux micros ? » - Je lui réponds par une autre question : « Et toi, comment ferais-tu ? » - La réponse est arrivée du tac au tac : « je les mettrais comme mes haut-parleurs chez moi ».
Si tous mes chers confrères pouvaient raisonner ainsi... Quelle désolation d’entendre sans plaisir total les nombreux enregistrements que je reçois ou que j’achète pour l’intérêt de la musique qu’ils contiennent : tout est écrasé sur le même plan, le petit hautbois de l’harmonie est au même niveau que les quatre-vingts autres instrumentistes, les solistes sont « proéminents » et vous chantent carrément dans les oreilles tandis que l’orchestre est à cent mètres derrière et pourtant le mélomane, à qui personne n’offre rien de mieux - à l’exception de quelques dinosaures dont je me félicite de faire partie - va les acquérir : la musique avant tout, nous ne saurions contredire cela. Le pire de tout est que certains trop nombreux « professionnels » avisés du monde musical cautionnent à tour d’articles élogieux ce qui au contraire devrait être sanctionné. Comme dans tous les domaines, n’y a-t-il pas là un sacré manque d’éducation ?
Nul doute qu’un tel exposé va m’attirer les foudres du monde politiquement correct du disque, ce dont je me contrefous royalement. Si je ne mets pas les pieds dans le plat, qui le fera ? Que l’on se rassure à ce sujet, je compte heureusement un bon nombre d’aficionados qui vont même beaucoup plus loin.
Pour conclure, il faut savoir qu’à présent tous ceux du métier du son disposent du meilleur matériel possible. Ce n’est donc pas ce matériel qui est en cause mais la manière de s’en servir. Quant aux foutaises qui consistent à affirmer haut et clair que l’audition d’un enregistrement en « haute définition » (24 bits/96kHz par exemple) est bien meilleure que celle du CD (16 bits/44,1 kHz), il y a de quoi se marrer : toutes les écoutes comparatives en aveugle effectuées sur divers matériels de très haut de gamme, réglages de niveau parfaitement au point, ont abouti à une impossibilité de détecter la moindre différence audible !
Il y a par contre beaucoup à dire quant à la qualité des pressages ou des gravures, aussi bien qu’à celle des lecteurs CD.
A bon entendeur, salut !
Bernard Neveu