Ben moi, j'ai vu ça !

Les bons films, ou les DVD techniquement impressionants.
syber
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L'épopée de l'Everest (1924)

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Histoire de vous proposer un vaste mouvement de synthèse englobant quelques films chroniqués récemment (Everest et l'étreinte du serpent), j'ai regardé ce documentaire filmé en 1924 lors d'une tentative de M. Mallory d'atteindre le sommer de l'Everest. Avis mitigé pour ma part car en réalité ce qui est intéressant dans ce documentaire, ce n'est pas ce que l'on est venu chercher. C'est à dire que les moyens techniques de l'époque et peut-être une pudeur d'alors, nous frustrent de nos velléités voyeuristes. Pas de scène de tempêtes, pas de morts visibles, pas de mains ou de pieds gelés filmées en gros plans. Pour tout dire, les morts sont annoncées pour les premières par un intertitre (le film est muet) et pour les secondes par un zoom de la caméra à plusieurs kilomètres où l'on voit des petits personnages d'un cm de haut à l'écran, perdu sur le flanc de l'Everest, étendre leurs couvertures sur la neige pour former avec elles une croix. L'intertitre explique alors : "c'était le signal convenu : ils étaient morts". Fermez le banc ! L'indicible ne se montrera pas.

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La première partie du documentaire nous donne en revanche quelques éléments techniques sur l'organisation de l'expédition et sur l'équipement rudimentaire de ces pionniers. Pas de gore-tex, de sac à dos en polyamide à cette époque. Les alpinistes semblent habillés de tweed et de culottes de golfeur pour affronter l'Everest. Les Sherpas portent à près de 6000 mètres d'altitude de méchantes caisses en bois sur leur dos. Assez effarant, je dois avouer. Et puis il y a cette procession de 500 hommes et bêtes de somme qui avancent en file indienne. L'effet est saisissant. Tout cette débauche de moyens pour que seulement deux hommes puissent atteindre le sommet !

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Enfin, il y a les témoignages anthropologiques sur les tibétains du début du 20° siècle. Leurs danses, leurs rituels, leurs vêtements, leur architecture et leurs monastère perchés dans des endroits invraisemblables.

Quel dommage que ces deux derniers points ne soient qu'à peine effleurés.

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En conclusion, on est à la fois fasciné par les quelques rares images qui nous transportent un siècle en arrière, et à la fois frustrés par la pauvreté des analyses et du commentaires.

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Message par syber »

Je viens d'apprendre, étonné, que Elsa Lanchester, l'actrice qui joue La Fiancée de Frankenstein ...

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... était l'épouse de Charles Laughton :

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Un sacré beau couple d'acteurs !



Syber- en route vers le 21° siècle !

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

Pas grand chose au cinéma en ce moment. Je me refait mes Lubtisch et mes Wilder mais j'avoue que je commence à les connaître ...

Quelqu'un a vu le dernier Allen ? Les critiques sont excellentes.

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Message par BowiePop »

Non, mais je dois avouer un petit faible pour Kristen Stewart...

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Message par syber »

Après "l'épopée de l'Everest", comme j'en avais un peu assez de voir des vieux films de 1924, pris d'une soudaine envie de modernité j'ai regardé ce film de 1928. Ca reste en 4/3, noir et blanc et bien évidemment muet, mais cette fois-ci il y a des effets spéciaux !

The Trail of '98 (1928) de Clarence Brown et avec plein d'acteurs dont on a oublié le nom.

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Le film raconte l'émigration de milliers de personnes vers le Klondyke lors de la ruée vers l'or de 1898. Ces aspirants à la fortune partent du port de San Francisco, pour rejoindre par la mer leur destinée heureuse ou funeste.

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Il s'agit d'un western d'aventure avec une traversée d'océan, des montagnes enneigées gravies, des avalanches qui ensevelissent des centaines d'hommes et de femmes, des rivières en crues lorsque survient le dégel et qui malmènent les frêles embarcations qui tentent de naviguer sur ses flots en furie (ben, oui je sais, mais c'est un peu la tonalité du film), des moments de mélodrame avec la mort d'un enfant, la trahison de compagnons véreux, une jouvencelle abusée par un "Vilain" véreux au regard sournois et à la fine moustache parfaitement taillée.

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Et un héros beau comme un Apollon qui après bien des vicissitudes, vaincra les obstacles qui lui sont présentés, se sortira de la maladie, tuera le "Vilain" et chopera la meuf en lui pardonnant son petit travail alimentaire dans un endroit de mauvaise vie car on l'y a forcé et ce n'est pas de sa faute. Ah oui, j'oubliais : le héros découvre un filon d'or et devient richissime.

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Alors j'ai l'air narquois comme ça, de prime abord, mais le film est pas mal du tout une fois écartée sa tonalité désuète. Il est plutôt spectaculaire à regarder pour un film de cette époque, avec des effets spéciaux datés mais assez saisissants (la rivière en crue avec les barques emplies de mannequins immobiles n'est pas plus honteuse pour l'orgueil du réalisateur que ne l'est la scène de l'explosion de la voiture de Robert De Niro au début de Casino) . Le film est également émaillé d'humour ce qui rend un peu moins pesant son côté mélodramatique trop appuyé pour nos goûts actuels. Et puis il y a le plaisir de regarder le film en pensant à la parodie irrésistible qu'avait fait WC Fields de ce type de cinéma en (déjà) 1933, dans "The fatal Glass of Beer" que je vous invite à savourer sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=eWW4-oBCzbQ

syber
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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

Hail, Caesar (2016) des Frères Coen.

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Aïe, ces stars !

Une satire du système des studios des années 50.

J'ai pas ri ! La messe est dite. Pourtant, j'ai pratiquement vu et apprécié tous les Coen's movies. Mais là, j'ai pas ri. Pas même une esquisse de relevage de commissure au détour d'une scène. La bande annonce était meilleure de ce point de vue. Des gags irrésistibles comme la prononciation du cowboy Hobie sur le plateau du dramaturge Laurence Laurentz, tombent à plat dans le film car il est monté différemment de la BA !

Bon. Attendons le prochain :wink:
Modifié en dernier par syber le jeu. 09 juin 2016 09:54, modifié 1 fois.

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Message par holggerson »

Florilège de quelques films marquants vu ces derniers temps...

Les Moissons du ciel (T. MALICK, USA, 1979) - Bill, un ouvrier agricole désargenté pousse son amante dans les bras d'un riche fermier, croyant pouvoir tirer profit de cette relation qu'il imagine provisoire. MUSSET, pourtant, avait prévenu : on ne badine pas avec l'amour ! Formellement, existe-t-il un long métrage plus abouti ? Comme souvent avec Malick, chaque plan est une oeuvre en soi.

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The Yards (J. GRAY, USA, 2000) - Pourquoi ce film, malgré sa sobriété apparente, est-il si fascinant ? Parce que James Gray, au fond, n'a pas écrit un Thriller de plus, mais une authentique tragédie, comme on en voit rarement au cinéma.

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Inherent Vice (P.T. ANDERSON, USA, 2015) - Je ne suis pas sûr que l'on puisse tout comprendre de ce film en une seule vision et même après plusieurs. Il plane autour de cette histoire comme une brume qui en obscurcit le sens, un brouillard semblable à celui qui occupe l'esprit de Larry Sportello, le personnage central, un détective toxicomane, cousin de Jeffrey " Dude " Leboswski (un bon frère Cohen, celui-là, n'est-ce pas Syber ? :wink: ). Est-ce une ruse du cinéaste, inspirée par Thomas PYNCHON, pour nous maintenir au niveau de compréhension de son héros, tanto sujet, tanto jouet de cette curieuse intrigue ?

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Les chants de Mandrin (R. AMEUR-ZAÏMECHE, France, 2012) - L'histoire se déroule au 18ème siècle dans le Royaume de France, peu de temps après l'exécution de Louis Mandrin. Jean Bellissard, qui a pris la tête de la troupe des contrebandiers, compte diffuser l'héritage moral du bandit dauphinois. AMEUR-ZAÏMECHE propose un cinéma inventif à l'esthétique radicale, contrainte par la petitesse des moyens engagés. Ce film, parsemé d’anachronismes assumés, n'est pas tourné vers le réalisme. Comme son titre l'indique, son genre est poétique et son propos, éminemment politique.

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

Femme aimée est toujours jolie (1944), comédie dramatique de Vincent Sherman et avec, tenez-vous bien, Bette Davis et Claude Rains.

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Bette Davis, tout le monde connait (Eve, Qu'est-il arrivé à Baby Jane, L'argent de la vieille). Claude Rains est sans doute moins connu de nos jours. Pourtant il s'agit d'un acteur remarquable dans la lignée des James Mason ou Edgar J. Robinson mais plutôt en second rôle. Il a joué notamment dans L'homme Invisible, Les aventures de Robin des bois, Laurence d'Arabie. Un excellent acteur.

L'accroche du film est un poil bancale. Bette Davis interprète le rôle d'une jeune femme très belle, centrée sur sa personne et courtisée par le tout New-York. Bette Davis n'est pas réellement le type de la belle et jeune femme crédible dans ce rôle. C'est un frein pour entrer dans l'histoire. Néanmoins, son interprétation est remarquable. Elle se montre d'un égoïsme distrait durant tout le film, mortifiant et crucifiant son entourage sans y prêter attention. Le seul être qu'elle aime est son frère, oisif velléitaire et véreux. Pour lui éviter un scandale elle fait un mariage d'intérêt avec le personnage joué par Claude Rains qui est parfaitement conscient de la chose. Il jouera à merveille durant tout le film, le contrepoint aux excès égotiques de Bette Davis.

Je passe sur les péripéties de leur couple (une scène très amusante où ils découvrent leurs infidélités respectives), quelques dialogues mordants (Une jolie femme c'est une femme qui dort 8 heures par nuit et va tous les jours chez l'esthéticienne. Une bonne structure osseuse peut également constituer un atout - dit par le personnage joué par Bette Davis) pour en arriver au dernier tiers du film qui est d'une grande réussite. On retrouve le personnage de Bette Davis vieilli grâce à un maquillage d'autant plus réussi, cela sidère tous les commentateurs de ce film, qu'il lui fait la tête qu'elle aura effectivement 30 ans plus tard dans ses films. La bouche en particulier ressemble incroyablement à celle qu'elle aura dans L'argent de la vieille. D'autre part, elle ne joue pas une jeune femme vieillie, elle joue une vieille femme malgré son jeune corps. Elle se voute, boitille de manière imperceptible, cajole ses interlocuteurs pour mieux se servir d'eux comme appui pour marcher, etc ... Elle fait preuve d'un talent d'observation remarquable pour interpréter la vieillesse de manière crédible. C'est la première réussite du film.

La seconde, c'est la fin qui est émouvante. Elle qui fut courtisée et adulée dans sa jeunesse, se retire dans sa demeure comme Greta Garbo ou Marlène Dietrich firent de même pour ne pas offrir au monde le spectacle de leur décrépitude. Tant ces êtres ont construit toute leur vie leur personnalité à la 3° personne. Mais dans le film, la fin de l'histoire est différente. Selon que l'on incline vers le religieux ou la psychanalyse, on interprètera la fin comme une manière de rédemption ou bien comme la possibilité de changer à tout moment de sa vie en trouvant un nouvel élan.

Ou plus simplement que l'amour, surtout aveugle, est plus fort que tout. Mais je ne peux pas vous dévoiler la fin ...

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

holggerson a écrit :... cousin de Jeffrey " Dude " Leboswski (un bon frère Cohen, celui-là, n'est-ce pas Syber ? :wink: ).
Un florilège de gags ! La dispersion des cendres est irrésistible. Toutefois, les Monty Python firent très fort 20 ans plus tôt dans le même registre : https://www.youtube.com/watch?v=ZcmTM2hFv9Y

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

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Suite au dernier film vu, cela m'a donné envie de voir d'autres films de Bette Davis. Quelle actrice !

The Nanny (Confession à un cadavre) de Seth Holt (1965)

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Il s'agit d'un thriller en huis-clos. La nounou interprétée par Bette Davis est au service d'une famille anglaise depuis des décennies. Elle a peu à peu pris un ascendant sur ses maîtres, ceux qui ont vécu ce genre de situation savent à quel point cela est possible.

Le film débute par la sortie d'un pensionnat pour enfant en difficulté, du petit garçon de la famille âgé de 10 ans. On réalise petit à petit que l'origine de ses problèmes ayant amené à son isolement en institution, tient à la mort de sa petite sœur. Noyée dans sa baignoire.

De retour à la maison, le garçon refuse de manger les repas préparés par The Nanny. On comprends qu'il la soupçonne d'avoir tué sa sœur. C'est la grande réussite du film : l'interprétation du garçon est crédible et tient la dragée haute à celle de Bette Davis. D'un côté The Nanny au comportement parfois inquiétante mais à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession, et d'un autre côté un petit garçon au comportement parfois inquiétant mais qui a des réactions candides d'enfant de son âge. Cette confrontation fait que le spectateur hésite pendant tout le film entre accuser The Nanny ou bien penser que le garçon fabule. C'est vraiment réussi.

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Puis vient l'explication qui est un peu précipitée et savonne un chouïa dans lequel le mystère est révélé. Est-elle une meurtrière ou bien le garçon a t-il tout inventé pour de sombres motifs. Et enfin le dénouement dans lequel les motivations des deux protagonistes sont dévoilées et qui est très crédible.

Finalement un très bon film.

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

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J'ai découvert Béla Tarr sur le tard* avec son dernier et ultime** film : Le Cheval de Turin (2011).


* bon, oui, je sais ...
** il semble que Béla Tarr donne des signes divergents à ce sujet. Il pourrait se remettre au cinéma après avoir annoncé que Le Cheval de Turin était son dernier film.




A cette occasion, littéralement soufflé par sa vision, j'avais pondu ce petit texte :


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L’antithèse des versions hollywoodiennes de la fin du monde. Ici, point de météorites lancées par on ne sait quelle main divine. Ici, pas de virus mutant né de la folie des hommes. Non, ici le propos est bien plus réaliste, bien plus tragiquement terre à terre. Les ressources naturelles s’épuisent. C’est inéluctable. C’est irrémédiable. Il n’y a plus rien à faire. Les moyens d’actions sont caducs. Les dernières tentatives d’action ne sont que de vaines gesticulations désespérées. Il est déjà trop tard et il n’y a plus d’autres alternatives que de disparaître.

Et pourtant, le cheval savait. Le cheval connecté à la terre et son environnement avait prévenu. Mais personne n’a vu, personne n’a compris. Personne n'a su l'écouter.

Une ferme isolée, construite au creux d'une cuvette géologique ; l'horizon est masqué et on ne sait ce qui se passe au-delà. Quelques traces d’herbes que l’on imagine sèches grâce à l’utilisation du noir et blanc et son accentuation des contrastes qui stimule l’imagination. Au loin dans le paysage, un arbre isolé domine une colline. Sans feuilles, ses branches tordues ressemblent à ce que seraient ses racines souterraines soudainement exposées à l'air libre, asphyxiées, hors de leur millieu nourricier. Le décor en vérité semble n'être devenu que minéral. Le corps de ferme possède deux bâtiments, une remise dans laquelle sont rangés les carrioles et autres instruments agraires est accolée à l’étable du cheval et à côté, la ferme proprement dite dans laquelle habitent un vieil homme dont le bras droit est paralysé et sa fille. Un troisième élément du décor vient composer un triangle symbolique, stable trépied qui sert de point d'ancrage au développement des sociétés, le puits qui fournit l’eau, qui fournit la vie à la ferme.

Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième. Les Hommes ont détruit le monde en six jours et ont disparus le septième. Tel pourrait être l’argument du film.

On assiste en de longs, austères et magnifiques plans séquence, à ce que l’on imagine être les six derniers jours de la vie de ce couple de paysans, père et fille, et leur prise de conscience progressive que leur fin est proche. Vie répétitive, vie âpre et dure, vie matériellement et spirituellement pauvre. Mais derrière cette apparente répétition des gestes quotidiens durant ces six derniers jours - habillement du père le matin, petit déjeuner, repas du midi constitué de deux pommes de terre, une pour la fille et une pour le père – se dissimule en vérité de subtiles et progressives variations dans leurs attitudes et leurs regards, qui font imperceptiblement changer les intentions jouées et engendrent chez le spectateur qui y sera sensible une charge émotionnelle bouleversante et un suspens qui pousse à entrer de plus en plus dans le film.

Mais le suspens sera sans espoir. La mécanique inexorable est dorénavant irréversible. C’est d’abord, le cheval qui devient rétif puis qui cesse de s’alimenter comme une tentative délibérée de se suicider face à la fin inéluctable qu'il pressent. C’est ensuite le voisin qui vient acheter une dernière bouteille d’alcool et qui lance au père sans qu’il la comprenne, une longue diatribe sur l’humanité. Le tragique arrive lorsque le puits s’assèche. Le père décide alors dans un vain dernier sursaut de quitter la ferme en emmenant sa fille et on voit là un des plans séquence les plus bouleversants du film où dans un mouvement ininterrompu on assiste aux préparatifs du départ de ceux-ci, consistant à regrouper dans une petite carriole le peu d’effets qu’ils possèdent, puis le père et la fille poussent péniblement cette carriole le long du chemin qui mène à l’horizon près de l’unique arbre desséché. La carriole disparait de l’autre côté de la colline. Pendant de longues secondes la caméra reste immobile et suspens aidant, l'incertitude, l'espoir gagne le spectateur. Le père et la fille s’en sont échappé, s’en sont sorti, ont repris en main leur existence, ont migré vers de meilleures contrées … et puis la carriole réapparait sur la ligne d'horizon et revient par le même chemin jusqu’à la ferme qui sera, on le comprend, le terminus de leur histoire. Qu’ont-ils vu, que n’ont-ils pas vu au-delà de cette colline ? On assiste au dernier repas du couple, personne n’arrive à manger, l’estomac trop serré ; ils ont compris. Le père dans un dernier sursaut vital tente de manger une pomme de terre qu'ils ne peuvent même plus cuire faute des ressources nécessaires. La fille est prostrée.

La lumière de la lampe à pétrole qui éclaire la scène du repas vacille, s’affaiblit.

Elle s’éteint.


Et je m'arrête là aussi, car le film est tellement dense et réussi que je pourrais en écrire des pages et des pages. Particulièrement sur ses aspects sensoriels. :wink:



Je vous parle de ce film car ce WE, après une longue préparation psychologique, je me sent enfin prêt à regarder les 7h30 de son film, Le Tango de Satan (1994, qui raconte à hauteur d'homme, l'effondrement du communisme dans les pays de l'est.

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Le Tango de Satan (1994) de Béla Tarr et avec Mihaly Vig, Putyi Horváth, László feLugossy

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Film en noir et blanc d'une durée de 7h30. Deux entractes divisent le film en trois parties.

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Et le film débute par une caméra posé au beau milieu d'une place de village boueuse, cernée de bâtiment que l'on devine mal entretenus. Le cadrage minimise le ciel comme pour ancrer le cadre et le spectateur dans la boue. Et ce qui se passe à partir de cet instant et proprement fascinant. Pas un homme n'apparait dans le champs de la caméra. Petit à petit un troupeau de vaches sort par une porte d'étable située au fond du cadre. Les vaches sortent de manière désordonnée, non guidées par l'homme inexistant dans le cadre. Elles occupent progressivement l'espace. La plus curieuse ou téméraire d'entre elles se dirige vers la caméra et meugle comme pour interpeler l'équipe technique qui inévitablement se trouve derrière. Ceux-ci ne réagissent pas afin de ne pas perturber l'action des vaches et la vache passe son chemin. Un semblant d'organisation, un esprit de groupe, une habitude, un leader, qui sait, fait que progressivement le troupeau se met en branle vers une direction commune. Il traverse en diagonale la place boueuse vers un chemin bordé de bâtiments qui traverse le hameau où se trouve l'étable. La caméra démarre lentement un traveling latéral en parallèle de ce chemin, mais à plusieurs dizaines de mètres en retrait. La vitesse de la caméra est lente et constante. Les vaches avancent, sont la plupart de temps cachées par un bâtiment et la caméra filme alors son délabrement ou son simple manque d'entretien. A chaque fois que la caméra débouche du bâtiment pour filmer dans l'axe d'une perpendiculaire au chemin, les vaches s'y trouve. Les deux se sont déplacé de conjoint, comme coordonnés. A un moment, le troupeau, mû probablement par la force de l'habitude, prend une direction qui le fait sortir du village. On imagine qu'il rejoint un pâturage.

Faut-il y voir une allégorie de la condition humaine sous le joug communiste, selon Béla Tarr ? L'arc narratif cinématographique de cette idéologie passerait donc au XX° siècle, du Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein (1925) et de L'homme à la Caméra de Dziga Vertov (1929) à Satantango de Bela Tarr (1994).

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Le plan séquence à duré 9 minutes. La caméra a opéré durant ce temps un lent et constant travelling sans pratiquement changer de cadre et on est happé, fasciné par ce cadre distant et proche à la fois, ce tempo lent qui est à la frontière du temps du cinéma et du temps de la littérature, cette mise en scène méticuleuse et qui semble en même capable de saisir toute la vérité de la vie et de ses incertitudes. L’œil du spectateur est à la fois guidé, enfermé par la mise en scène, mais le temps long permet au spectateur de se composer son propre film, sa propre interprétation, comme au théâtre. Voilà ce qu'est le cinéma de Béla Tarr, une fusion des sensations et des émotions procurées par la peinture, la littérature, le théâtre et le cinéma pour stimuler notre imaginaire comme rarement devant un écran.

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

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En ces temps de Brexit, j'ai décidé de voir l'humaniste film de The Archers : The Life and Death ofColonel Blimp (1943), de Michael Powell et Emeric Pressburger, et avec Roger Livesey, Deborah Kerr, Anton Walbrook.

Anton Walbrook qui interprète le fameux Lermontov, directeur du ballet dans les Chaussons Rouges (qui est un chef d'oeuvre, mais je crois l'avoir déjà signalé une fois ou deux).

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L'histoire de deux officiers anglais et allemand qui se lient d'amitié en 1902. Nous allons suivre l'évolution de leur relation, de leurs principes moraux, de leurs convictions, de leurs parcours d'une manière générale, de leurs destins qui s'entrecroisent et interagissent entre eux sur 40 années et plusieurs guerres.

Passionnant de bout en bout pour l'universalité des thèmes abordés.

Et c'est en couleur ! Image

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

Trumbo (2015) de Jay Roach et avec Bryan Cranston, Helen Mirren, Diane Lane, et tant d'autres tout aussi talentueux.

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Vraiment réussi sur la forme. Le casting est remarquable, les interprétations de chaque acteurs et actrices sont irréprochables. Le scénario est enlevé, passionnant à suivre du début à la fin, alternant les scènes intimistes et les reconstitutions historiques, suscitant l'émotion sans verser dans le pathos et la manipulation du spectateur. Quand au fond, je ne connais de cette période du Maccarthysme que l'écume des choses mais il semble bien en lisant les divers articles consacrés à ce film, que la réalité historique soit globalement respectée.

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

Dans le prolongement de Trumbo, je vous propose ce film qui bien que non explicitement cité dans Trumbo, figure bien dans la liste des scénarios retravaillés par Dalton Trumbo sous un pseudonyme pour la compagnie des frères King. Rappelons que les frères King étaient d'anciens malfrats qui s'étaient reconvertis dans le cinéma pour, dixit dans Trumbo, "car cela me permet d'avoir des petites pussy à volonté". Frank King qui répondait en interview à la question de savoir si cela lui avait posé problème de faire travailler un homme blacklisté, que "peu lui importait qu'un scénariste soit blanc, noir, catholique, juif ou que sais-je ; la seule chose qui compte est qu'il soit bon et qu'il rapporte plus que ce qu'il ne m'a coûté."

Attitude éminemment pragmatique ou cynique selon la morale du lecteur qui appréciera ces déclarations, qui fit dire à certain que de la même manière que la découverte du pétrole et de l'énergie bon marché avait mis fin à l'esclavage aux US, c'est l'économie de marché et le libéralisme qui avait mis fin au maccarthysme et à la blacklist ! Y faudrait pas voir à mélanger idéologie et retour sur investissement !

Gun Crazy (1949) de Joseph H. Lewis et avec John Dall (un des étudiants tueurs dans La Corde de Hitchcock) et Peggy Cummins (qui est parfaite).

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C'est un excellent film noir, vraiment remarquable. L'histoire de Bonnie et Clyde avant l'heure (on se demande même si Faye Dunaway ne se serait pas inspirée de Peggy Cummins pour le port du béret). Un amour fou entre un homme qui présente des faiblesses de caractère et une femme qui le manipule tout suscitant en lui une étincelle. Le style du film est sec, nerveux, rapide, maniant l'ellipse efficace comme rarement (des scènes de braquages qui se déroulent entièrement en hors champ). Un patchwork de style tout à fait surprenant dont l’hétérogénéité ne se fait pas sentir car leur unité vient du choix de leur seule efficacité narrative. On y trouvera du cinéma vérité tourné en plein rue, des influences japonaises, des scènes oniriques en studio, voire un peu d’expressionnisme allemand. Une belle et sensuelle histoire d'amour qui se termine mal.

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Modifié en dernier par syber le lun. 18 juil. 2016 08:24, modifié 1 fois.

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

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Le Voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad An Arabian Fantasy in Technicolor) est un film britannique réalisé par Ludwig Berger, Michael Powell et Tim Whelan, sorti en 1940. Ont en outre participé à la réalisation du film sans être crédités au générique : Alexander Korda, Zoltan Korda et William Cameron Menzies.

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Je crois bien que jamais je ne me lasserai de ce film que je revois avec bonheur tous les 5/6 ans.

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Le génie naïf et roublard, l'araignée géante, le cheval qui vole, le tapis qui vole également, le joyau qui fait office de télévision, le prince au grand cœur, la promise fidèle à son prince, et Jafar, le fieffé fourbe félon qui veut être calife à la place du calife et interprété par l'immense Conrad Viedt dont les interprétations dans l'Homme qui Rit et dans Le Voleur de Bagdad ont tellement marqué les esprits qu'ils ont eu une descendance jusqu'au Joker de Batman et le Jafar dans Aladin de Disney (voire Iznogood de Goscinny et Tabary).

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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

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Jodorowsky's Dune (2016) de Frank Pavich

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Un documentaire absolument passionnant de bout en bout, sur la genèse inaboutie du projet d'adaptation cinématographique du roman Dune par Alejandro Jodorowsky.
Modifié en dernier par syber le mer. 20 juil. 2016 09:32, modifié 1 fois.

vxl
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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par vxl »

Merci pour cette référence Syber, je essayer de le trouver sur le net :)

syber
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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

Miles Ahead (2016) de Don Cheadle et avec Don Cheadle et Ewan McGregor

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Biopic centré sur 48 heures trépidantes de la fin de la période de 5 ans où Miles Davis disparait des écrans radar et ne sort plus aucun disque. Durant ces 48 heures, il va être question de drogue, d'alcool, de filles, de drogue, de jazz, de drogue, de boxe, d'une bande mystérieuse qui est volée, de drogue, d'armes à feu, de coups de feux, de drogues, de blessures à l'âme et physiques, de divorce et de cocaïne.

Le film n'est pas une réussite totale, malgré l'engagement sincère de Don Cheadle sur ce projet. La cause en étant que Don Cheadle a une nature comique profonde qui transparait dans son interprétation de Miles Davis. Ce qui coince un peu compte tenu du caractère ombrageux de Miles Davis. Il n'existe quasiment pas de photos de Miles Davis où on le voit sourire. C'était tellement exceptionnel d'en obtenir une que l'on en a fait une pochette de disque à l'époque : Miles Smiles. Un peu comme Greta Garbo qui ne riait jamais sauf dans Ninotchka et toute la promo du film avait été faite autour de ce fait rarissime. Pour situer le caractère du bonhomme, un reporter photo raconte qu'il fini par obtenir un jour un RDV avec Miles pour une séance. Il prends l'avion (d'Europe), une chambre d'hôtel, arrive le jour dit au RDV et propose à Miles de faire une photo de lui non pas courbé avec son instrument comme c'est son habitude sur scène, mais au contraire se tenant droit. Miles Davis lui répond : "Miles ne joue pas comme ça". Fin de l'entretien. Le journaliste repart en avion sans photo !

En revanche Ewan McGregor compose un personnage vraiment réussi. Un journaliste à l'éthique élastique qui cherche à tout prix à obtenir une interview de Miles Davis et fini par le suivre dans ses aventures. Signalons également l'actrice qui joue remarquablement le rôle de Frances Taylor, la femme de Miles Davis (que l'on voit sur la pochette de Someday My Prince Will Come), Emayatzy Corinealdi. On devrait la voir dans d'autres films car elle crève l'écran.

Les forces du film résident principalement dans son montage qui est véritablement musical et jazz. On n'a pas un récit linéaire et plan-plan comme dans les biopics traditionnels, mais une partition qui recrée ces 48 heures fictives à partir d'éléments combinés de la vie de Miles Davis. Il ne faudra pas y chercher une véracité historique sans faille, mais au contraire y saisir une impression, A kind of Blue. Il y a quelques fulgurances bien trouvées où dans une même scène, Miles Davis se rend à un match de boxe pour récupérer son enregistrement volé, la bande son est joué par un orchestre qui se trouve sur le ring avec les boxeurs qui se battent, ce qui traduit bien l'état de confusion mentale et de perte de repères de Miles Davis durant ces 5 années d'absence.
Modifié en dernier par syber le mer. 24 août 2016 16:25, modifié 2 fois.

syber
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Re: Ben moi, j'ai vu ça !

Message par syber »

La porte du Paradis (1980) de Michael Cimino et avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, Isabelle Huppert. Montage de 2012.

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Michael Cimino nous a quitté il y a peu. L'occasion de voir ou de revoir La porte du Paradis, film maudit pour de complexes, ramifiées et imbriquées raisons sociologiques, politiques, artistiques et psychologiques qui rendent difficiles tous commentaires à son sujet.

Retenons tout de même une esthétique magnifique, un travail sur la lumière remarquable, un sens du détail et des accessoires rarement poussés aussi loin (peut-être dans Le Guépard de Visconti), un rythme lent et linéaire, chronologique, implacable, inéluctable, une variation sur la figure du cercle, de la force centrifuge, des cercles qui s'imbriquent, qui convient parfaitement à ce film comme représentation d'une cosmogonie des USA et de ses rapports de classes. Les scènes de danse et le massacre final seront ainsi chorégraphiés de la même manière.

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